« La cage noire parut sur le fleuve d’argent, comme un trait de plume sur une feuille blanche » dépeint l’homme de lettres Léon-Pamphile Le May.
Personnages mythiques du 19e siècle, les intrépides cageux (Raftsmen) sont majoritairement des Canadiens français. Ces hommes chargés d’assembler méthodiquement les radeaux pilotent sous la direction d’un maître de cages l’immense train de bois équarri jusqu’au port d’embarquement. Les pins et les chênes taillés en poutre rectangulaire servent à la construction navale britannique. La cage, cette île flottante de quatre pieds d’épaisseur, peut couvrir plusieurs acres. C’est une des scènes les plus typiques du Nouveau Monde.
Chaque train de bois peut compter une centaine d’hommes d’équipage qui se reposeront à tour de rôle durant le voyage de plusieurs semaines. Dans cette solitude solennelle, ces robustes fils de la forêt et du fleuve souquent en cadence, ouvrant leur âme en entonnant de leur plus belle voix Un Canadien errant. Quand le vent et les courants sont favorables, les cageux s’aident en fixant plusieurs voiles carrées aux mâts. Lorsque les radeaux sont submergés dans la descente des rapides, ils s’attachent à ces mâts pour échapper à la noyade.
Notre patrimoine fluvial et forestier est intimement relié aux Premières Nations qui ont transmis de nombreux savoirs essentiels à la navigation sur les cours d’eau et la survie en forêt profonde. Onze nations autochtones se partagent les grands territoires traditionnels du Québec. À l’époque des grands voyages d’exploration, les Premiers Peuples ont apporté une aide indispensable aux Européens. Les collectivités autochtones du Canada ont subi malgré eux la colonisation et la dépossession de leurs terres, territoires et ressources, ce qui les a empêchés d’exercer, notamment, leur droit au développement conformément à leurs propres besoins et intérêts. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est un paratonnerre à l’ignorance.
Comme l’évoque si bien le récent roman Kukum de Michel Jean : « En haut, les bûcherons coupaient notre forêt, et ceux- là se chargeaient de la transporter vers l’usine de pulpe. Qui avait l’autorité de faire cela sans même nous demander notre avis ? »
Le récit national doit inclure non seulement la parole des bâtisseurs — cageux et draveurs — qui ont risqué leur vie pendant deux siècles pour l’essor du pays, mais aussi, les droits et réalités des Premières Nations. L’acte de commémoration peut tisser une histoire à l’horizon de partage juste.
Isabelle Regout et Alexandre Pampalon
Experts de l’ère des cageux